Il est des questions difficiles à trancher qui trouvent parfois leur solution de manière brutale et soudaine. Souvent, c'est la force d'un exemple inattendu qui vient conclure une réflexion d'où on ne peut tirer une synthèse claire. Ici, il s'agit de la question du droit d'auteur, et l'exemple déterminant est celui illustré dans le film "Be Kind, Rewind", de Michel Gondry.
(Ce qui suit révèle une grosse partie de l'intrigue.)
Dans ce film, deux gérants temporaires d'une boutique de location de vidéo (en VHS) sont confrontés à l'effacement accidentel de toutes les bandes par l'un d'entre eux (joué par Jack Black). Pour contrer le problème, les deux gérants décident donc de tourner eux-même des versions amateur des films effacés, au format vingt minutes. Les noms des personnages sont les mêmes, et le scénario ainsi que certaines scènes gardent la même trame, tandis que les dialogues sont en majeure partie changés ou incomplets. Bref, l'oeuvre est une adaption totalement libre et différente de l'oeuvre originale.
Seulement voilà, le cirque attire de plus en plus de public, et bientôt la boutique draine tellement de monde qu'un beau jour, des représentants d'une grosse boite de production américaine débarquent dans le magasin et prétextant que leur droit d'auteur à été violé, et réclament l'effacement des bandes sans quoi une amende de trois Milliards de dollars sera à payer, assortie d'une peine de prison de 63 000 ans. Bref, les gérants sont condamnés à détruire toutes les cassettes.
(fin du spoiler)
La question est, pourquoi le droit a-t-il été violé ? Le délit ici n'est pas d'avoir détourné des films existants pour en faire des versions alternatives. En effet, reprendre une oeuvre et la "détourner" n'est pas une violation du droit d'auteur à proprement parler : si j'apprend du Incubus à la guitare et que je joue des concerts sur la plage avec mes cheveux longs, en me faisant du bénéfice sur les boissons par exemple, je ne vole pas le groupe original. Je suis constitue une concurrence bas de gamme, qui propose le même type de service à un prix et une qualité moindre. Il y a fort à parier que beaucoup de fans d'Incubus préfèreront payer plus cher pour voir un vrai concert. Ou bien ils trouveront le moyen d'aller aux deux, parce qu'en dépit d'une qualité objectivement moindre, le service que je propose a ses attributs propres que l'auditeur apprécie (versions acoustiques, ajout d'un solo de biniou, etc).
Le délit des personnages joués par Mos Def et Jack Black est d'avoir conservé les emballages de VHS. En effet, ils ont contrefait une marque. Les clients abusés croyaient louer SOS Fantômes avec Bill Murray, et se retrouvent avec SOS Fantômes starring Jack Black et Mos Def (personellement, ça ne m'aurait absolument pas dérangé, mais là n'est pas la question). Dans l'exemple de mon concert d'Incubus, ça serait comme si j'avais placardé des affiches dans tout Hendaye en utilisant l'image et le logo du groupe, laissant ainsi explicitement supposer que les vrais membres d'Incubus allaient donner un concert au Pays Basque (ahah). Ca constitue une violation de l'image, la "marque" du groupe.
Cette nuance de droit est le point de départ de la différence fondamentale entre brevet et droit d'auteur. Le droit d'auteur est la propriété légitime d'un individu sur son nom, son corps, et donc sa création. Le brevet est le pas de trop sur ce droit, une propriété exclusive (càd qui exclue), qui empiète sur la liberté d'autrui. Ainsi si deux inventeurs créent tous deux l'incroyable aspirateur-laveur-de-sol-désinfectant au même moment, le premier à déposer le brevet met l'autre dans l'illégalité. L'autre doit abandonner sa création légitime sous peine de payer une amende, ou doit éventuellement acheter le brevet à son concurrent concernant sa propre invention - un comble.
Imaginons à nouveau que cette découverte incroyable n'ait été le fruit que d'un seul inventeur, mais que l'invention en question a tellement de succès que de petits coquinous décident d'en commercialiser leur version. Impossible sans brevet dans notre joli monde. Il faut se creuser les méninges pour trouver une copie qui n'en soit pas vraiment une, trouver des fonctions farfelues, bref, se différencier. Sans brevet, la copie est autorisée, le problème est réglé. Bidule, Inc. peut vendre son Aspitueurtm , mais ne bénificiera pas de la même aura de pionnier que Premier & Frères et son Désinfectateurtm. Un de ses moyens de faire la différence sera donc... le prix. Et devinez qui y gagne ? Vous, moi, le consommateur.
"Mais, me direz-vous, s'il pousse le concurrent à se différencier, le brevet, alors c'est bien, ça encourage l'imagination du concurrent, ça le pousse à aller plus loin dans le concept, la créativité ! on y gagne au final !". Vu comme ça effectivement, on y gagne. Mais il y a ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
Nous sommes dans notre monde. Je suis Apple, je sors mon Ipod, je pose un bon gros brevet dessus, et je vend mon machin 250€ pièce, tranquille pépère, j'ai mon monopole, fuck the world, etc. Personne de sérieux peut venir me concurrencer, j'ai déposé mon brevet, je le vend à Microsoft qui de toutes manières va en faire un truc de merde, je les connais, bref, je m'en fous. Mais voilà, j'aperçois au loin un secteur de la téléphonie mobile, qui décide de transformer le téléphone portable en une plateforme multimédia pour me concurrencer de loin. Je ne peux pas les attaquer, c'est un téléphone, pas une copie d'Ipod. Ces messieurs déposent leur brevet, ils ont leur monopole sur les téléphones-multimédias, vendent leur machin 300€ pièce, tranquille pépère, monopole et moules-frites à volonté. Résultat : Deux secteurs avec des géants en monopole qui vendent leur truc très cher et se concurrencent de manière totalement périphérique (j'ai une plus grosse mémoire, etc).
Nous sommes à Pas-de-brevet Land. Je suis Apple, je sors mon Ipod, je suis suivi par mille concurrents. Je joue la carte de l'innovation, je vais plus loin, tandis qu'eux baissent le prix du modèle de base, ou le rendent "communautaire", le mettent en réseau mondial, etc. Au loin, j'aperçois la téléphonie-mobile, qui voit l'explosion du marché et commence à le singer (exactement comme dans notre monde). Résultat : Plein de concurrents, plein de choix, un panel de prix incroyable, et une guerre intra et inter secteur qui profite à qui ? Au consommateur.
J'en vois toujours qui ne sont pas convaincus, au fond. Il bouguonnent, ils se disent "oui mais comment je protège mon oeuvre à moi ?". Ca mes amis, à vous de voir. Le secret industriel est très efficace. Vous avez l'exemple de Coca-Cola, recette toujours inconnue. Une oeuvre artistique, un livre ? Vous vous envoyez des copies par la poste, puis constatez officiellement leur date d'écriture en faisant ouvrir devant notaire (ce qui se fait actuellement). Et en cas de litige faites du bruit, rendez public, provoquez l'indignation. Votre pouvoir de nuisance est difficilement imaginable parce que ces méthodes ne sont pas courantes pour l'heure. Quand à ceux qui rétorqueront qu'une action en justice réclame moins de temps et d'effort, je les invite à se renseigner un peu mieux...
Au final, vous l'aurez compris, je suis opposé au brevet. C'est une violation claire de la liberté qui entraîne, comme toujours, des conséquences néfastes sur l'ensemble de la société. Si vous doutez toujours, ou si vous souhaitez approfondir, un bon point de départ est cet article (qui a beaucoup nourri mes réflexions) : www.wikiberal.org/wiki/Propri%C3%A9t%C3%A9_intellectuelle
Et courez voir Be Kind, Rewind, c'est un excellent film.
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2 commentaires:
Bravo Matthieu,
Une bonne nourriture pour ce blog.
Question: le brevet ne serait-il pas vu comme un principe de précaution?
C'est quand meme un sujet super compliqué ...
Je suis globalement d'accord avec vous mais
Que penser des brevets sur les medocs ??
Souvent matériellement peu chère à produire mais extrêmement chère en recherche ...
Comment ne pas se faire torpiller des années de recherche (et le cout qui va avec)sans brevet ... certe ,il y a l'aura du premier mais je ne suis pas sur que cela suffise ...
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